La sexualité peut se manifester par des routines obsessionnelles, ou au contraire par l'évitement de tout contact intime. Les Asperger pratiquent aussi plus souvent l'auto-stimulation sexuelle. Leur possible hypersensibilité tactile peut entraîner une perception désagréable des relations intimes. Il existe encore peu d'études sur le rapport que les personnes Asperger entretiennent avec leurs enfants. Huit femmes Asperger devenues mères ont fait part d'une incompréhension récurrente dans la manière de les élever au mieux, d'un besoin de contrôle sur leur enfant, et d'expériences sensorielles inhabituelles.
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DIFFERENCES CEREBRALES :
Les études neurologiques (en imagerie cérébrale notamment) ont mis en évidence un dysfonctionnement du cerveau social chez les personnes Asperger, touchant plus particulièrement le lobe frontal et les régions temporales du cortex. Le réseau qui relie le médial préfrontal au cortex temporal, impliqué dans l'intuition et la théorie de l'esprit, présente une activation réduite et une mauvaise connectivité. Un dysfonctionnement du cervelet est également évoqué, il serait impliqué dans la maladresse et les problèmes de coordination des mouvements, entraînant une insuffisance dans la capacité à associer les entrées sensorielles avec les commandes motrices appropriés. L'amygdale et les ganglions de la base ont été mis en cause, aboutissant à la conclusion que « la connectivité fonctionnelle des structures du lobe temporal médian est spécifiquement anormale chez les personnes atteintes du syndrome d'Asperger ». [...]
ANOMALIES LIEES A LA THEORIE DE L'ESPRIT :
La théorie de l'esprit se définit par la capacité à reconnaître et comprendre les pensées, les croyances, les désirs et les intentions des autres, ce qui en fait un synonyme de « capacité d'empathie ». En 1985, la publication de l'article Does the autistic child have a “theory of mind”? (Les enfants autistes ont-ils une « théorie de l'esprit » ?) lance le débat. La conclusion tirée des expériences est l'existence d'un déficit spécifique indépendant du niveau intellectuel. Les auteurs précisent dans l'article que « nos résultats renforcent fortement l'hypothèse selon laquelle les enfants autistes considérés à l'échelle du groupe échouent à employer la théorie de l'esprit ». Plus tard, cette hypothèse est affinée dans le cadre du syndrome d'Asperger :
« les données expérimentales suggèrent que les personnes atteintes du syndrome d'Asperger peuvent manquer de théorie intuitive de l'esprit (mentalisation), mais peuvent être en mesure d'acquérir une théorie explicite de l'esprit ».
Le dysfonctionnement de l'amygdale semble impliqué.
Les personnes diagnostiquées avec un syndrome d'Asperger atteignent le même niveau de performance que les sujets contrôles à certains tests simples de la théorie de l'esprit, mais elles échouent plus souvent aux tests complexes, témoignant d'un « déficit sélectif pour interpréter les intentions d’autrui. Ils obtiennent de moins bons résultats dans l'empathie cognitive (la compréhension des émotions de l'autre) mais sont dans la moyenne sur l'empathie affective. Le déficit affecte spécifiquement la reconnaissance des émotions positives.
Selon Uta Frith et F. Happe, il est possible également que les Asperger aient une conscience d'eux-mêmes différente des personnes neurotypiques, car faisant appel à l'intelligence et à l'expérience plutôt qu'à l'intuition. Elle se révélerait naturellement plus proche de celle d'un philosophe. Tony Attwood adhère à cette vision et cite en exemple les autobiographies des personnes Asperger, dont les qualités sont « quasiment philosophiques ».
DIAGNOSTIC :
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Des cas de sous et sur-diagnostics sont fréquents, soit parce que la popularité des options de traitement incite à diagnostiquer des TSA pour des symptômes incertains, soit car le coût du dépistage et la difficulté à obtenir une compensation financière inhibent ou retardent le diagnostic.
D'après Tony Attwood, le diagnostic des femmes est plus difficile que celui des hommes en raison de leur capacité à masquer délibérément leurs difficultés dans les interactions sociales. L'auteure et militante Liane Holliday Willey, elle-même atteinte, estime que les femmes sont fortement sous-diagnostiquées. De même, le diagnostic est plus difficile à poser à l'âge adulte que pendant l'enfance. Les troubles sociaux ne sont pas toujours visibles dans la petite enfance et les adultes apprennent à les cacher par un apprentissage compensatoire.
La grande majorité des travaux de recherche portent sur le diagnostic pendant l'enfance, malgré les preuves évidentes d'une persistance à l'âge adulte. La parution de plus en plus fréquente d'autobiographies à succès écrites par des autistes Asperger et d'articles sur le sujet dans les médias conduisent un nombre croissant d'adultes qui s'y reconnaissent à demander un diagnostic pour eux-mêmes ou l'un de leurs proches : pour Laurent Mottron, ces demandes de diagnostic doivent être prises au sérieux car elles mènent souvent à des confirmations du syndrome.
CONSEQUENCES :
Les déficits sociaux des Asperger provoquent de nombreux quiproquos en cas de comportement inapproprié à une situation donnée : par exemple, la difficulté à établir un contact visuel est prise à tort pour de la culpabilité. Les Aspergers reçoivent de très nombreux reproches tout au long de leur vie, pour des comportements qu'il leur est impossible de changer (auto-stimulations, maladresse sociale...). Beaucoup souffrent de l'impossibilité de nouer des amitiés. Les efforts fournis en situation de contacts sociaux peuvent leur demander un état d'alerte permanent et les pousser vers l'épuisement mental et physique. Le stress influence très négativement les personnes Asperger, notamment parce qu'il diminue encore davantage leur perception des états d'âme d'autrui. Les signes du syndrome sont plus visibles en période de stress.
HARCELEMENT ET INTEGRATION SCOLAIRE :
Les enfants Asperger sont fréquemment brimés par les autres dans le cadre scolaire, ils sont dans l'ensemble plus vulnérables au harcèlement que les autres enfants. Selon Laurent Mottron et la majorité des témoignages, ce harcèlement survient généralement vers l'âge de dix ans (entrée au collège) et s'accompagne de stress puis d'anxiété : auparavant, les Asperger sont favorisés à l'école primaire grâce à leurs capacités d'apprentissage. Leur besoin fréquent de réfléchir avant de répondre dans les contextes sociaux conduit les autres enfants à les prendre pour des gens pédants, formels ou intellectuellement retardés, ce qui constitue une cause fréquente de harcèlement scolaire. Le stress post-traumatique résultant de ce harcèlement conduit un grand nombre de filles Asperger à l'échec scolaire, et à abandonner des études et perspectives de carrière brillantes.
Les Asperger ont tendance à refouler leurs sentiments et à s'excuser en permanence. Leurs tentatives pour s'intégrer et nouer des relations amicales sont rarement fructueuses. Ils peuvent subir un harcèlement moral continu.
Les cas de harcèlement les plus graves sont désastreux pour leur estime d'eux-mêmes et leur équilibre psychique. Tony Attwood dispense différents conseils pour éviter le harcèlement des enfants à l'école : leur permettre de se réfugier auprès d'un groupe, favoriser la constitution de groupes d'enfants ayant le même profil, les encourager à dénoncer ce dont ils sont victimes et à exprimer ce qu'ils ressentent d'une façon claire. Des difficultés d'intégration surviennent pendant tout le parcours scolaire, y compris à l'université. À cause de leurs particularités sensorielles, certains élèves Asperger sont contraints d'éviter des lieux tels que les syndicats d'étudiants, les bars et les bibliothèques.
DIFFICULTES A TROUVER ET GARDER UN EMPLOI :
À compétences égales, les Asperger éprouvent davantage de difficultés à trouver et conserver un emploi. Passer les entretiens d'embauche, travailler en groupe, diriger une équipe, respecter les délais et gérer leur stress sont autant d'obstacles. D'après Tony Attwood,
« il y a probablement un fort taux de syndromes d'Asperger parmi les personnes au chômage de manière chronique »,
bien qu'il existe aussi des cas de réussites professionnelles remarquables. Une étude réalisée sur les 250 000 Asperger recensés au Royaume-Uni en 2001 révèle que seuls 12 % d'entre eux ont un travail à temps plein. De manière générale, environ 90 % d'entre eux seraient sous-employés et dans l'impossibilité de gagner leur indépendance financière (2004). De plus, les Asperger ont généralement du mal à évaluer la valeur de leur propre travail et peuvent être exploités financièrement, ou bien subir diverses moqueries de la part de leurs collègues. Ils sont vus à tort comme des gens fainéants, irresponsables ou stupides.
Ils ont pourtant plusieurs avantages sur les personnes neurotypiques dans le monde du travail. Ils semblent favorisés pour assimiler la programmation et le graphisme informatiques, et ont généralement un respect absolu des règles, qui les rend très intègres. Si l'emploi se trouve dans le domaine d’intérêt spécial, alors la personne Asperger sera « hyper-compétente ».
VULNERABILITE AUX TROUBLES EMOTIONNELS ET PSYCHOLOGIQUES :
Le psychiatre Mohammad Ghaziuddin a étudié les liens entre le syndrome d'Asperger et les troubles mentaux. Le syndrome d'Asperger est souvent lié à divers problèmes émotionnels et psychologiques : 65 % des personnes atteintes souffrent d'un trouble de l'humeur ou d'un trouble affectif, les plus fréquents étant l'anxiété et la dépression. 25 % des adultes Asperger présentent des troubles obsessionnels compulsifs (TOC). Sont observés également une tendance à l'automutilation et au stress post-traumatique, et un comportement agressif (colères fréquentes). Le risque de développer des troubles hallucinatoires, de la paranoïa ou un trouble des conduites est également assez élevé. De tous les TSA, le syndrome d'Asperger semble être le plus susceptible de se combiner à un trouble bipolaire.
Environ la moitié des Asperger souffrent d'un trouble du déficit de l'attention avec ou sans hyperactivité (TDAH), les deux diagnostics n'étant pas exclusifs. L'hyperactivité peut persister à l'âge adulte et entraîner des problèmes notables d'organisation et de concentration. D'après Laurent Mottron, il semble que les Asperger souffrent d'un déficit attentionnel spécifique, qui puisse être traité comme les TDAH.
Un haut niveau d'alexithymie est caractéristique de ce syndrome, entraînant les difficultés connues pour identifier et décrire ses émotions et celles d'autrui. Les enfants Asperger sont plus susceptibles que les autres d'avoir des troubles du sommeil, y compris des difficultés d'endormissement, de fréquents réveils nocturnes et des réveils matinaux. Bien que le syndrome, la faible qualité du sommeil et l'alexithymie soient liés, leur relation causale est incertaine. Par contre, les problèmes rencontrés dans les interactions sociales pour maintenir des amitiés et des relations avec les pairs semblent jouer un rôle important dans la santé mentale et le bien-être des personnes Asperger.
ANXIETE :
Les difficultés sociales, la tendance à intellectualiser plutôt qu'à employer l'intuition, l'incertitude quant à la façon dont les autres vont les percevoir et les juger génèrent une anxiété importante chez les personnes Asperger, qui peut s'aggraver jusqu'à un trouble anxieux généralisé ou un mutisme sélectif.
Les enfants perçoivent souvent les relations avec leurs camarades d'école comme étant anxiogènes. Les adultes peuvent être traités pour anxiété chronique. Il est possible que cette anxiété soit une composante du syndrome liée aux particularités neurologiques, ou bien qu'elle soit le résultat d'autres problèmes liés, comme l'hypersensibilité (notamment au bruit) et l'alexithymie. Pour lutter contre leur anxiété, les Asperger choisissent de s'isoler et de limiter leurs contacts sociaux, par exemple en refusant d'aller à l'école.
DEPRESSION [...] ET SUICIDE :
Les Asperger semblent beaucoup plus vulnérables aux pensées suicidaires que le reste de la population. Un étude de Simon Baron-Cohen sur 374 personnes adultes Asperger montre que 66 % d'entre elles ont déjà eu des pensées suicidaires. Sur 50 autres personnes Asperger interrogées pour les besoins d'une autre étude, 18 (soit plus de 35 %) ont déjà fait une tentative de suicide.
Ce penchant suicidaire semble être en lien avec la dépression et les symptômes les plus sévères du syndrome, mais aussi les nombreuses difficultés rencontrées par ces personnes en termes d'exclusion sociale, d'isolement et de solitude. Le harcèlement scolaire peut conduire à ces pensées suicidaires et une attitude extrêmement critique envers soi-même et les autres. Tony Attwood estime que
« chez les adolescents Asperger, la dépression est plutôt la règle que l'exception »
Si une prédisposition génétique peut entrer en compte, l'influence du sentiment de rejet et des moqueries que les Asperger subissent régulièrement n'est pas à négliger.
VULNERABILITE AUX ADDICTIONS :
Les études de cas sur les personnes Asperger ont révélé un grand nombre d'addictions. Sur cent hommes Asperger âgés de 5 à 24 ans (2004), treize souffrent d'alcoolisme sévère et trois de toxicomanie. L'une des addictions les plus fréquentes est donc l'alcoolisme, qui constitue « un mécanisme d'adaptation pour faire face à la vie quotidienne », notamment pour soulager le sentiment d'anxiété pendant les situations sociales.
De nombreux Asperger deviennent dépendants et, sans aide ni prise de conscience de leur état et de leur syndrome, empruntent un chemin d'auto-destruction. La toxicomanie est également assez fréquente, bien que la limitation des contacts sociaux puisse préserver les adolescents de ce type de consommation. La consommation de marijuana (cannabis) est courante chez certains Asperger, qui affirment en avoir besoin pour contrôler leur anxiété.
Les témoignages de consommation d'alcool et de drogue évoquent une tentative de pallier la maladresse sociale, précisant aussi que cette consommation n'a été d'aucune aide.
Parmi les jeunes générations, l'addiction à internet et plus particulièrement aux jeux vidéo de type MMORPG est notable. Pour le Dr John Charlton, qui a découvert de nombreux traits du syndrome d'Asperger lors d'une étude sur 400 gamers, il est important de rappeler que la pratique du jeu vidéo ne cause pas l'autisme, mais qu'elle permet aux autistes de « s'échapper dans un monde où ils peuvent éviter les interactions en face-à-face ». Un article publié dans Wired News suggère que les particularités du syndrome rendent les Asperger naturellement plus doués pour comprendre et exploiter les mécanismes de ces jeux, augmentant d'autant leur attrait.
Les raisons de ces addictions restent à définir. L'héritage génétique pourrait être mis en cause.
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SOCIETE :
Depuis les années 1990, une partie du débat autour du syndrome d'Asperger s'est déplacée du terrain médical vers le terrain sociétal. Au fil des découvertes, la façon de considérer le syndrome a évolué. Longtemps assimilé à tort à une maladie mentale, il est de nos jours généralement reconnu comme étant un handicap, et de plus en plus perçu comme une « différence ».
Les personnes diagnostiquées Asperger peuvent se désigner elles-mêmes comme étant des aspies (un mot employé pour la première fois par Liane Holliday Willey en 1999)229. Rudy Simone a inventé le mot-valise « aspergirl » (girl : fille) pour désigner les femmes atteintes du syndrome, en 2010.
Le terme de « neurotypique » (abrégé NT) est employé pour décrire les personnes dont le développement et l'état neurologique sont typiques.
Internet permet aux personnes atteintes du syndrome de communiquer et de célébrer leur diversité d'une manière auparavant impossible en raison de l'éloignement géographique. Une communauté autistique s'est formée. Des sites web tel que Wrong Planet ont rendu les rencontres entre les personnes affectées du même syndrome plus faciles.
De nombreuses personnes, diagnostiquées Asperger ou parentes de personnes diagnostiquées, ont fait part des difficultés qu'elles rencontrent au quotidien pour vivre avec le syndrome d'Asperger ou l'autisme de haut niveau : Temple Grandin dans Ma vie d'autiste, Josef Schovanec dans Je suis à l'Est !, Daniel Tammet dans Je suis né un jour bleu, etc.